Soutenez-vous Mlle Obscure Précaire, candidate aux Prix Claude Lévi-Strauss et Clo-Clo?

samedi 11 juillet 2009

Exclusif! Un membre du Comité témoigne... "Comment je me suis fait éconduire de la remise du 1er Prix Claude Lévi Strauss!"

Le lundi 29 juin aurait dû être le moment fort d’une lutte menée par une petite troupe de jeunes et espiègles chercheurs en sciences sociales, en majorité précaires, ayant pris, dans les clameurs du mouvement des universités, le parti de porter aux nues le cas de ces ouvriers de l’ombre sans qui les laboratoires ne pourraient pas fonctionner, les colloques se monter. La remise de ce Prix Claude Lévi Strauss, créé à l’initiative de Valérie Pécresse afin de distinguer un chercheur en sciences humaines et sociales, et, nous l’espérons, mettre en valeur nos disciplines qui souffrent autant d’un manque de reconnaissance que d’une réelle méconnaissance, avait suscité chez nous des interrogations car allant à l’encontre des luttes en cours.

Ainsi, tout le Comité soutenant la candidate dénommée Obscure Précaire, notre porte-parole, s’est mis en branle pour profiter de l’antre de l’Institut de France, et de la présence de son cortège de sommités, pour rappeler à tous le lourd tribut payé par une génération « presque » perdue – du moins, nous nous battons pour ne plus l’être – de jeunes chercheurs (doctorants et post-doctorants) dont l’avenir s’était encore plus assombri en raison des effets telluriques des coupes sombres de postes annoncés (finalement réaffectés), et des perspectives peu réjouissantes présagées par la LRU.

En effet, si l’autonomie veut offrir plus de latitude aux présidents et aux conseils d’administration des universités en stimulant les coopérations, principalement avec le fameux « monde de l’entreprise », elle se ferait selon nous avec parcimonie, en laissant de côté de ces nouveaux leviers argentés la plupart des humanités enseignées dans nos universités. C’est d’ailleurs ce que mon expérience de terrain de précaire à la recherche d’un poste de conseiller en développement social m’a souvent renvoyé comme triste réalité. Dans le monde de l’entreprise, et même dans celui des métiers du secteur sanitaire et social que je connais particulièrement, le contenu de nos formations sont bien souvent sibyllins. A tel point, que la durant la matinée précédant la remise du prix, je m’étais rendu à un entretien d’embauche à un poste d’assistant chargé de projet formation en ayant pris soin de censurer moi-même mon curriculum vitae en occultant mes études doctorales. Et ce parce qu’elles sont très souvent dissuasives lors de l’embauche, ou tout simplement pour obtenir un entretien !

Ainsi, ce matin-là, comme nous l’avait intimé notre ordre de mission, il fallait assister aux discours de Jean-Robert Pitte, puis à celui de Valérie Pécresse. Ensuite participer à la cérémonie de la remise du Prix Claude Lévi Strauss au lauréat désigné, Dan Sperber. Armé de mes affiches où notre obscure comparse lançait ses cris d’alarme, de tracts « Votez Précaire », d’un recueil contenant les slogans à scander, et d’une lettre à remettre à madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu’aux différents membres de l’Académie des sciences morales et politiques, je rejoignis le reste de l’équipée sur le Pont des arts. Mauvaise nouvelle, nous sommes attendus, et même que très peu désirés ! L’un de nos membres actifs nous informa avoir reçu un message du secrétaire général de l’Académie lui signifiant, très clairement, qu’elle n’était pas la bienvenue dans les locaux de l’Institut de France. J’appris plus tard qu’il en était de même pour moi. A 15h, je me lançai à l’assaut du temple et pénétrai sans trop de difficultés pour assister à la retransmission vidéo des discours de Jean-Robert Pitte et de Valérie Pécresse.

Ces deux interventions se faisaient dans le cadre des séances hebdomadaires de l’Académie des sciences morales et politiques et étaient consacrées à la « loi du 10 août 2007 portant sur les libertés et responsabilités des universités » (L.R.U). Jean-Robert Pitte a ouvert le débat en rappelant le pourquoi de cette réforme et l’inconséquence du conservatisme de certains chercheurs et étudiants à brandir le glaive d’une bataille franco-française, tout en faisant fi de l’environnement européen dans lequel ils devraient plutôt mesurer les mutations déjà opérées, nous laissant de facto à la traîne. Après le rappel d’un constat très pernicieux qui avait fait les délices de Nicolas Sarkozy, s’étant ému des plus de 30% de chercheurs ne publiant plus grand chose, M. Jean-Robert Pitte a répondu aux questions de l’assistance. L’auditoire du jour ne s’est pas privé de jolies escarmouches, la plus acerbe demeurant la fameuse allusion à l’élargissement des capacités d’évaluation du président d’une université qui, dans ses nouvelles attributions découlant de la LRU, sera seul apte à juger de la qualité des candidats à un poste et ce pour tous les emplois ouverts au recrutement ; c’est-à-dire de l’enseignant-chercheur au personnel technique ! A part l’esquisse d’un léger sourire embarrassé, notamment lorsque fut rappelé la qualité de chercheur en géographie de M. Jean-Robert Pitte, afin de lui montrer l’absurdité d’évaluer un chercheur dont on ne connaît rien à la formation initiale, cet exposé n’a pas clarifié les zones d’ombre contenues dans la LRU. En conséquence, il fallait s’en remettre à l’intervention du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche pour satisfaire notre avidité.

Très attendue, madame la ministre s’est montrée très en verve et réellement disposée au dialogue. Au plus fort des mobilisations, nous aurions aimé la trouver dans ces mêmes dispositions ! Son intervention a surtout consisté à présenter la réforme d’autonomie des universités et la philosophie d’ensemble souhaitée pour la modernisation du système universitaire français. Il s’agit d’ « un pari », un pari sur notre génie de créativité, notre inventivité et notre capacité à réellement devenir acteurs de nos universités. Alors là, je suis resté sans voix. Je peux comprendre la logique et le principe de cette mobilisation des « forces vives » des universités (chercheurs et étudiants), mais je reste très dubitatif sur sa faisabilité. En effet, la LRU devrait permettre une meilleure gestion de l’université, et à y regarder de plus près, c’est bien vers une approche managériale que nous nous dirigeons. Cependant, les passerelles entre public et privé qui seront ouvertes ne pourront pas concerner toutes les disciplines de manière équivalente. Singulièrement, en ce qui concerne les sciences humaines et sociales, je vois mal les entrepreneurs se bousculer pour financer nos disciplines. Et étonnamment, nous pouvons constater une forte contradiction entre l’analyse des raisons de la faiblesse de la performativité de l’université française par rapport à ses consœurs européennes et les solutions proposées. D’un côté, elle fait porter la sclérose des universités à l’immobilisme catégoriel des enseignants et des étudiants, et, de l’autre, nous propose de croire en la capacité de mobilisation de ces mêmes acteurs pour la restaurer !

Au terme de ces deux interventions, je n’étais pas plus avancé qu’à l’entrée. Au contraire, je connais par expérience la difficulté de l’insertion professionnelle des jeunes docteurs dans le monde de l’entreprise, d’où une question à laquelle j’aurais aimé avoir une réponse : comment pourra-t-on articuler l’obligation d’insertion professionnelle à l’enseignement dispensé dans les facultés tout en conservant sa forme actuelle ? En l’état actuel des choses, cette réforme ne sera applicable qu’à un nombre limité de filières facilement adaptables au système LRU. Mais de surcroît, le vrai problème sera la tentation de la spécialisation en grands pôles universitaires souhaitée par le ministère. Il s’agit là de l’amplification d’un processus dont les conséquences, déjà connues par beaucoup d’étudiants, vont encore creuser les disparités entre universités riches et universités plus modestes.

Après cette studieuse première séquence, la seconde pour moi a vite tourné court. En effet, grande fut ma surprise de constater le renforcement du dispositif de sécurité mis en place dans l’enceinte de l’institut. Des ordres stricts auraient été donnés, c’est avec ces termes qu’une employée de l’institut me mit à l’écart dès l’annonce de mon nom. Pourtant, j’avais correctement suivi la procédure d’inscription, mais manifestement la légitimité de nos revendications ne faisait pas le poids face au protocole de la remise du prix Claude Lévi Strauss. Il y avait là une amère ironie que j’avoue avoir très mal vécue ; alors que par mes interventions auprès de professionnels de santé, je contribue à vulgariser la discipline en étant très mal payé, le jour de la remise d’un prix couronnant un chercheur de ma discipline, j’ai été éconduit du cénacle de mes pairs…

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